"Distinguer l'apprenant de ses actes" - Éclaircissements

Un lecteur me demande de développer ce propos car, dit-il, si cette attitude est courante dans le domaine de l'art (dissociation entre l'auteur et son œuvre), elle est beaucoup moins évidente dans le domaine de la justice.

Cette locution provient d'un paragraphe de mon essai qui dit textuellement ceci : Très inspiré par l'enseignement de Gandhi, l'éducation bienveillante pose comme premier paradigme de distinguer l'apprenant de ses actes (p. 120 du chapitre intitulé L'autorité bienveillante). L'assertion originale de Gandhi est : Hais le péché, non le pêcheur.

Dans le domaine de l'art, je suis le premier à regretter cette séparation entre l’œuvre et l'auteur. Tout s'inscrit dans un contexte, l’œuvre d'art ne fait pas exception. Si l'on veut non seulement comprendre une œuvre mais également lui ouvrir les canaux sensibles de nos émotions, une culture la concernant est indispensable. Rares sont les œuvres d'art qui nous parlent d'emblée, surtout lorsqu’elles sont noyées dans la multitude d'une exposition. Et même dans ce cas, si l'on veut partager toute la dimension émotionnelle de l'auteur, si l'on veut être habité par la force de son inspiration, la connaissance de ce contexte est indispensable. C'est alors qu'il nous élève à la hauteur de sa création… et qu'il nous révèle à nous-mêmes.

Dans le domaine de la justice, Robert Badinter en 1981 reprend l'idée fondamentale de Gandhi dans son célèbre discours sur l'abolition de la peine de mort : Le criminel ne doit pas être identifié à son crime. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n'est point d'hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Il ajoute par ailleurs : Tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d'abord en refusant la loi du talion ?

Venons-en maintenant à la question de l'éducation. Dans le chapitre 5 de notre essai concernant la relation, nous soulignons que l’état d'esprit de l'éducateur et la façon dont il se représente mentalement l'apprenant influencent grandement l'apprentissage. Distinguer l'apprenant de ses actes consiste à le considérer comme sujet et non pas comme objet et admettre en tant que tel que c'est un être de potentialité qui ne peut être réduit à ses actes. Lesquels ne sont que des expressions momentanées d'une conjonction qui ne cesse d'évoluer (des illusions au sens bouddhiste du terme). Distinguer l'apprenant de ses actes revient à admettre que tout acte est un essai qui aura d'autant plus de valeur pédagogique qu'il sera imparfait et entaché d'erreur. Le cerveau a en effet besoin d'un retour d'expérience, indispensable au traitement correct d'une tâche. Telle est la clef de l'apprentissage par essai-erreur qui seul apporte à l'apprenant l'expérience nécessaire à son exécution et donne du sens à ce qu'il fait.

Exit donc, la "pédagogie du premier de classe" et l'état d'esprit de l’éducateur qui considère que c'est à l'apprenant à se hisser à son niveau et non l'inverse.

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