Qu'est-ce qu'une bonne famille à l'heure des genres en tout genre et de l'intersexualité ?

Cette question concerne d'abord les éducateurs que sont les parents. Elle est d'autant plus complexe que la notion de famille a beaucoup évolué. Elle ne peut donc se traiter d'un claquement de doigts. Je ne prétends pas y répondre de façon exhaustive mais au moins dégager les notions indispensables pour y voir clair.

Le premier point est que, dans la nature, quand il y a une famille (tout dépend de l'inné de l'apprenant qui détermine son aptitude à se débrouiller seul ou non), son but premier est d'élever les petits. Chez le cheval, ce rôle est normalement celui de la jument poulinière mais aussi celui du troupeau où le poulain trouve des compagnons de son âge pour jouer et des adultes pour lui apprendre la vie en groupe. A remarquer que, d'une manière générale, le rôle d'éducateur est dévolu très majoritairement aux géniteurs ou à l'un d'entre eux.

Deuxième point. Pour procréer, la Vie a opté chez les êtres évolués pour l'accouplement d'un mâle et d'une femelle. Deux mâles ou deux femelles ensembles sont dans l'impossibilité d'engendrer. Chez les humains, l'attirance réelle qu'un homme peut avoir pour un autre homme ou d'une femme pour une autre femme a de fortes chances d'aboutir à la constitution d'un couple et à une vie partagée. Mais il ne constitue pas une famille pour autant. Ceci posé, le désir d'enfant est évidemment légitime chez tout être humain et il y a à notre époque de nombreux moyens d'en avoir. Le couple en question devient alors famille au sens propre[1].

Troisième point : l'état d'esprit. En ce qui concerne ma propre famille ainsi que celles que j'ai côtoyées, j'ai pu remarquer une sorte de constante. Le père est souvent celui qui établit des logiques de comportement auxquelles il se réfère pour élever ses enfants, avec parfois une certaine rigidité. La mère en revanche est plus pragmatique, plus dans l'affection compréhensive et attache moins d'importance aux principes. D'où le cliché : père-systèmes logiques et rigueur ; mère-bon sens pragmatique et tolérance. À tempérer avec les pères tendres et affectueux, les pères distants voire indifférents, les pères ou les mères démissionnaires et sans autorité qui laissent tout faire à leurs enfants, les mères à principes ou celles rigides et sans instinct maternel.

Regardons maintenant du côté de la figure d'attachement. Bowlby nous dit qu'un jeune enfant a besoin, pour connaître un développement social et émotionnel normal, d'établir une relation d'attachement avec au moins une personne impliquée, prenant soin physiquement et émotionnellement de lui et ayant une présence importante et régulière dans sa vie. Ce rôle est normalement celui de la mère, au moins dans la tendre enfance, mais toute personne qui s’engage dans une interaction durable avec l’enfant et qui lui sert de référent est susceptible de devenir une figure d’attachement. Bonne nouvelle pour les familles homosexuelles ou monoparentales !

Mais qu'advient-il si cette figure n'apporte pas les réponses adaptées à ses besoins ? Mary Ainsworth, collaboratrice de John Bowlby, distingue 4 styles d'attachement. Le premier, dit "sécure", est celui de l'attachement idéal. Les enfants qui l'ont vécu se sentent libres d’explorer le monde et vivent les séparations sans souffrance. A l’âge adulte, ils font facilement confiance, ce sont des personnes en général bien dans leur peau, qui ont une bonne estime d’eux-mêmes et s’épanouissent dans les relations sociales et amoureuses. Les trois autres sont qualifiés d'"insécure" car ils n'apportent pas à l'enfant la sécurité affective dont il a besoin.

Second style : l'attachement de l'enfant objet ayant subi un comportement de rejet ou intrusif de la part de la figure d’attachement[2]. Il n’a pas confiance dans la capacité de l’adulte à lui venir en aide et adopte un comportement anxieux-évitant. Il se replie sur lui-même, renonce à montrer son attachement, a tendance à masquer ses émotions ou ses angoisses. Adulte, il aura un comportement plus méfiant, plus "froid".

Troisième style : l'attachement ambivalent-résistant. Il est provoqué par une figure d'attachement qui offre une réponse incohérente, instable, aux demandes de l'enfant. Il est dû souvent à un manque de rigueur et d'autorité - aussi bienveillante soit-elle -, mais aussi à une hypervigilance anxieuse (surprotection), souvent le fait de la mère "'qui a peur pour son enfant", cas plus fréquent qu'on ne croit. L’enfant pourra alors devenir manipulateur et feindre des émotions qui ne sont pas réelles (pleurs simulés par exemple), ou en exagérant celles qui le sont (crises de colère lorsqu'il n'obtient pas ce dont il a envie). L'ambivalent-résistant considère généralement son éducateur comme un dominé (alias un objet) et n'a pas de respect pour lui. Adulte, il a une certaine réticence à créer des liens, il craint l'abandon.

Dernier style : l'attachement désorganisé, désorienté qui se distingue des autres par le manque de reconnaissance, vital pour tout être humain. Il crée chez l'enfant une détresse affective qui risque de le marquer tout au long de sa vie. Il se manifeste lorsque le référent est absent ou qu'il se comporte de manière négligente (il n'assume pas son rôle) ou violente (parce qu''il est bipolaire, pervers narcissique ou sujet à des addictions par exemple). Les conséquences pour l'adulte peuvent aller jusqu'à la dissociation émotionnelle[3].

Ce tour d'horizon dans le domaine de la figure d'attachement nous montre que la famille classique n'est pas forcément le foyer d'épanouissement idéal pour l'enfant. Quid des familles homo ou mono parentales pour cet enfant qui porte pourtant en lui les gènes d'un homme et d'une femme ? A-t-il de ce fait impérativement besoin de cohabiter avec une présence masculine et féminine ? Un père peut-il être l’équivalent d'une mère ? ou une mère l'équivalent d'un père ? Référons-nous au constat récent et plein de bon sens de Raphaëlle Miljkovitch et Blaise Pierrehumbert[4] : Nous pensons, à l’instar de Le Camus (2000), que les nouvelles perspectives de recherches sur les contributions maternelle et paternelle devraient prendre en compte à la fois la bipolarité parentale (père et mère ne sont pas fonctionnellement interchangeables) et la bipolarité des besoins de l’enfant (l’enfant est en quête aussi bien de « sécurisation » que d’« invigoration[5] » et d’« autonomisation »). Il ne s’agit donc pas de faire jouer au père le rôle d’une mère bis.   Ainsi à la question « Le père est-il l’égal de la mère ? », nous répondons par la négative ; ceci parce qu’il est différent et qu’il contribue à sa manière à la sécurité de l’enfant.

D'après cette étude, alors que la mère, partenaire privilégiée de cocooning de l'enfant en bas âge et zone affective refuge, apporte à l'enfant un sentiment rassurant d'accueil et de compréhension, le père, partenaire de jeu principal, a un rôle déterminant dans sa capacité à s'ouvrir vers l'extérieur, à gérer son anxiété. Il serait pour l'enfant un modèle dans sa relation avec les autres car il est à la fois tiers et figure d'attachement. Une autre étude souligne que l'utilisation de la fonction maternelle trop au-delà de ce qui est nécessaire, empêche l'enfant d’exploiter son plein potentiel, au détriment de son autonomie.

Il apparaît donc que, pour une structuration harmonieuse de sa personnalité, la présence du père et de la mère est hautement souhaitable. Sa vision de l'autre en dépendra. Personnellement c'est ma mère qui m'a forgé l'image des femmes que j'ai pu côtoyer ou aimer. Pour une fille, l'image du père est également déterminante dans sa relation future avec le sexe masculin. Dans un couple homosexuel, l'un des partenaire peut avoir le caractère prononcé de l'autre genre, il ne sera jamais l'autre sexe[6].

Est-ce à dire que les enfants élevés dans des familles monoparentales ou homoparentales présenteraient des lacunes par rapport à ceux élevés par un père et une mère ? Nous avons vu que la qualité de la figure d'attachement est déterminante. En ce qui concerne les familles homoparentales, les études montrent que le développement de l'enfant n'est pas affecté par ceux qui composent sa famille. L'identité sexuelle, la réussite scolaire ou encore la fréquence des troubles psychologiques sont comparables dans les familles homoparentales et dans les familles hétérosexuelles. Témoignage : "Nous sommes un couple de femmes, notre enfant n'a pas de père mais il a plein de référents masculins autour de lui. Il cherchera ces identités-là. Il n'y aura pas d'impact. Et puis nos convictions à nous, c'est que l'essentiel pour un enfant, c'est la sécurité affective".

En revanche il n'en est pas de même dans la famille monoparentale. Le mono parent est-il en mesure d'assurer seul le besoin d'amour et de limites dont l'enfant a besoin ? Qu'elle soit due à un décès ou à un divorce, la situation est beaucoup plus complexe à gérer et peut être très traumatique pour l'enfant. D'abord parce qu'un mono parent va avoir beaucoup de difficultés à assumer à la fois son rôle de figure d'attachement, sa vie professionnelle et sa vie personnelle, ensuite parce que les référents des deux sexes dont l'enfant a besoin feront probablement défaut.

En conclusion, qu'est-ce qu'une bonne famille ? S'il ne fait pas de doute que la configuration idéale est celle, traditionnelle, d'un père et d'une mère, rien n'empêche à l'enfant de s'épanouir également au sein d'autres versions familiales. Chaque enfant est unique et son épanouissement dépend de nombreux facteurs tels que l’amour, l’attention, la sécurité, la stabilité et l’environnement dans lequel il grandit. Les familles monoparentales et homoparentales peuvent offrir un environnement aimant et stable pour les enfants, tout comme les familles traditionnelles, avec souvent, un engagement plus conscient de leur part. Ce qui est important, c’est que chaque enfant soit aimé et soutenu par sa famille, quelle qu’elle soit.

Et n'oublions pas que le style d'attachement que l'enfant a vécu ne représente qu'un facteur parmi d'autres pour l'adulte qu'il deviendra. Le cerveau a en effet les capacités de s’adapter et de s'ajuster en permanence en fonction des expériences vécues. Et les capacités de résilience de l'individu peuvent l'amener à développer des aptitudes insoupçonnées, à cause justement des difficultés qu'il aura rencontrées.

Notes

[1] Ensemble des personnes unies par un lien de parenté ou d'alliance.

[2] Intrusif : qui impose sa manière de voir sans tenir compte de la nature de l'enfant.

[3] Mécanisme d'auto-défense émotionnelle contre les traumatismes par lequel un individu se distancie de certaines expériences ou émotions.

[4] "Le père est-il l'égal de la mère ? Considérations sur l'attachement père-enfant"- Cahiers critiques de thérapie familiale 2005/2 (no 35), pages 115 à 129.

[5] Fait d'insuffler de la vigueur, d'éveiller la curiosité, le goût de se dépasser.

[6] Sexe : classification d'une personne en tant que mâle ou femelle. Caractérisée par la présence d'un chromosome X ou Y et par des organes reproducteurs ad hoc'. Genre : représentation qu'a une personne d'elle-même en tant que femme ou homme. On est dans le domaine du sentiment.

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